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Le Serment du Grütli n'est pas un mythe!

Oui, le Serment du Grütli, qui a probablement eu lieu en 1307, est qualifié dans de nombreux discours du Premier Août, ainsi que par de nombreux élus, historiens et simples citoyens, de mythe ou de légende. Or, il a bel et bien existé! Voici pourquoi!

Des histoires et des mythes! Prenons le cas du Serment du Grütli, qu’on qualifie, depuis le milieu du XIXème siècle, notamment dans les cercles "progressistes", de "mythique". Et pourquoi donc? Parce qu'on n’en a pas trouvé de preuve, de source écrite! En bon historien positiviste, on décréta à l’époque que pas de source égale mythe! Par exemple Joseph-Eutych Kopp vers 1850, ou Johannes Dierauer, dans sa monumentale Histoire de la Confédération Suisse (1887-1917). Mais on oublia la tradition orale !

Or, je suis persuadé que ce serment a bien été juré, peut-être pas en 1307, peut-être pas sur le Grütli, mais au début du XIVème siècle, quelque part en Suisse primitive, quelques années avant la bataille de Morgarten et le Pacte de Brunnen, en 1315, qui, eux, ne peuvent pas être mis en doute, ni qualifiés de mythiques !

A l'instar des autres récits fondateurs de la Confédération, le Serment du Grütli s'est justement transmis par tradition orale, ou peut même avoir été consigné dans des sources écrites maintenant perdues! Bref, sa première mention figure dans le Livre Blanc de Sarnen, écrit en 1472 et conservé aux Archives cantonales d'Obwald, à Sarnen. L'histoire suisse fut ensuite écrite, pour la première fois de manière érudite, à partir de sources parfois perdues aujourd'hui, vers 1550, dans le Chronicon Helveticum d’Aegidius Tchudi, un historien, géographe et homme d’Etat glaronais. Tschudi date le serment, avec précision, du mercredi avant la Saint Martin de 1307, soit début novembre.

C'est dire que les récits écrits, car il y en a bien d'autres, ne manquent pas! Mais ils sont tous tardifs, il est vrai! Tardifs ? Au fait, quel problème réel cela poserait-il ? Cela n’en pose en réalité pas un si grand que ça ! Le fait que le Serment du Grütli ait été transmis par tradition orale pendant plus de cent ans ne signifie en rien qu'il n'ait pas existé ! De plus, il colle parfaitement au contexte historique tel que nous le connaissons, soit la révolte des trois cantons contre les visées des Habsbourg !

Certes, le vice, ou le charme, cela dépend du point de vue, de la tradition orale, c’est la déformation, car au fur et à mesure des récits, on rajoute, on rabote, on embellit, on enlaidit, selon les intérêts et les circonstances du moment ! Oui, fort bien, mais, encore une fois, modifier le récit d’un événement historique ne signifie en rien que ce dernier ne se soit pas produit !

Donc, ces récits sont probablement faux du point de vue purement factuel, mais pas entièrement; je pense en effet qu’en cherchant bien on peut y retrouver, sous les couches ajoutées par la suite, quelques traces de vérité ! Vraiment ? Voyons ce qu’en dit un historien reconnu !

L’historien Jean-François Bergier va dans ce sens, lorsqu’il dit que « mon sentiment est que l'approche critique, qui presque sans exception s'est fondée sur l'analyse de la matérialité des faits et des textes, en reléguant au grenier des légendes les épisodes de Guillaume Tell, des trois Suisses et quelques autres, ont [sic] en quelque sorte jeté le bébé avec l'eau du bain. » (Note 1). A quoi il ajoute que « tout ceci n'exclut en rien l'existence préalable d'un récit originel, sur lequel les narrateurs successifs ont greffé des détails, des enjolivements ou des motivations apocryphes. » (Note 2).

Mais un récit originel à prendre avec des pincettes ! Par exemple, une confusion du Serment du Grütli avec le Pacte de 1291 est possible. Et, effectivement, lorsqu’on sait que c’est au moins depuis les années 1240 que les Suisses sont en bisbille avec les Habsbourg, confusion il a pu y avoir, dans un temps où la transmission était essentiellement orale !

Parmi les enseignements de ce récit originel, Bergier privilégie l’économique, le social et le culturel, mais, au niveau politique, il relève toutefois « quelques allusions événementielles qui mériteraient l’attention » (Note 3). Et, notamment, la destruction des châteaux, décidée par les conjurés du Grütli, qui est un fait prouvé par l’archéologie ! Alors, quoi ?

Pas de preuves écrites irréfutables, mais une tradition orale, mise par écrit plus tard, notamment par Tschudi, et qui distingue clairement le Pacte de 1291 du Serment de 1307. Je pense, pour ma part, qu'il faut suivre cette tradition orale, et reconnaître que le Serment du Grütli a eu lieu, indépendamment du Pacte, d’une manière ou d’une autre !

Et, quand bien même il s'agirait d'une confusion avec le Pacte d'août 1291, qui, lui, a effectivement été conclu sur le Grütli, cela rendrait le Serment encore plus vrai !

Dernier point. Je citerai encore une fois Jean-François Bergier, qui écrit, à propos d'un historien vaudois du XIXème siècle et au sujet de Guillaume Tell, que « […] Louis Vulliemin, qui ne pouvait plus refuser en 1875 la thèse de la légende, voyait juste en constatant que celle-ci n'en gardait pas moins son importance et son sens, qu'elle porte témoignage à sa manière sinon sur le problème des origines de la Suisse, du moins sur son histoire ultérieure. » (Note 4).

Voilà une excellente observation ! Car, si nous n'avons pas de preuve matérielle, écrite, de cette conjuration, nous en avons une, et comment, de son action à travers le temps! Il est en effet absolument indéniable que, mythe ou pas, le Serment du Grütli a été très efficace par la suite, dans la construction de la Confédération Suisse, en tant que récit fondateur, récit sur lequel des générations se sont appuyées, dans lequel des générations ont puisé leurs forces ! Que vouloir de plus ? Ne fût-ce que pour cela, cet événement, avec le Pacte de 1291, a mérité ses galons!

Ce n'est pas rien! Alors, oui, il n’y a pas photo, le Serment du Grütli a bel et bien existé, et n'est pas un mythe !

 

Note 1 : Jean-François Bergier, cité en source, p. 324.

Note 2 : Ibidem.

Note 3 : Idem, p. 329.

Note 4 : Idem, p. 324.

Source : Jean-François Bergier, « Guillaume Tell. Légende et réalité dans les Alpes au Moyen Âge », in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 128ᵉ année, N. 2, 1984, pp. 320-334 (https://doi.org/10.3406/crai.1984.14159).

 

Jacques Davier (30 Juillet 2023)

Commentaires

  • On peut dire d'ailleurs exactement la même chose de Guillaume Tell! Tout mythe, toute légende recèle une part de vérité!

    Jean-François Bergier n'affirme-t-il pas que Guillaume Tell est «un héros dont ni moi, ni personne ne peut affirmer en toute conscience ni qu'il a véritablement existé, ni qu'il n'est qu'une figure de légende» (Jean-François Bergier, Guillaume Tell, Paris, Fayard, 1988, p. 9)?

    De même, Georges Andrey, auteur du magnifique L'Histoire de la Suisse pour les Nuls (Paris, First, 2007), qualifie la geste de Guillaume Tell de "vraisemblable", et conclut en disant que "le négationnisme pur et dur dont Tell a fait l'objet n'a plus cours aujourd'hui" (p. 72)!

  • Accessoirement, je me réjouis de célébrer notre Fête Nationale le Premier Août prochain, et je dis bien le Premier Août et non le 31 juillet (!), comme c'est le cas dans certaines communes très minoritaires (3 sur 45 dans le canton de Genève), afin de pouvoir profiter du... congé du lendemain! Fainéants, va! Enfin, je compatis avec mes concitoyens de Bienne, dont les autorités soi-disant progressistes, mais en réalité antipatriotes, ont décidé de simplement... supprimer la Fête Nationale biennoise! Gauchos, va!

  • Bonjour Jacques,

    Merci pour cette approche très intéressante. De l'importance des archives!

    Pour Bienne, je ne comprends pas. Ont-ils un argument?

    Bien à vous, bon 1er août.

  • Merci, Hommelibre! A ce qu'il paraît, les autorités biennoises sont "invitées" dans le canton d'Uri. Etrange façon de faire, à vrai dire, car elles auraient très bien pu décliner, en disant qu'elles se doivent à leurs administrés pour ce jour de Fête Nationale. Excellent 1er Août à vous également!

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