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Arthur Rimbaud, l’Homme aux semelles de vent!

Un petit aperçu, où on voit que tout est imbriqué, concernant quelques aspects de la vie d'Arthur Rimbaud, notamment ses poèmes, leur publication et ses relations avec Paul Verlaine!

Est-ce Dieu possible d'avoir écrit de telles perles poétiques, puis d'avoir tout abandonné, laissé en plan pour partir au bout du monde? Cela, le grand mystère de Rimbaud, ne sera jamais compris, je veux dire totalement, pleinement, intimement compris!

Verlaine, l'ami, se chargea du boulot littéraire final, en publiant lesdites perles en l'absence de l'auteur et sans son consentement (contentement?), mais pour le bien de la littérature et de nous tous, les amateurs de poésie!

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine vécurent une « idylle », entrecoupée de crises, de ruptures et de réconciliations, de l’automne 1871 à l’été 1873. Le coup de feu de Bruxelles, tiré par Verlaine sur son compagnon le 10 juillet 1873, y mit un terme définitif. Après le drame, Verlaine séjourna dix-huit mois en prison, et Rimbaud écrivit sa Saison en Enfer, puis acheva ses Illuminations, un des plus fascinants recueils de poésie qui soient !

Les deux poètes se virent une dernière fois en février 1875 à Stuttgart, puis s’en allèrent chacun de leur côté, malgré que Rimbaud eût confié à Verlaine le manuscrit des Illuminations avec charge de les publier, ce que l’ami fit d’ailleurs, mais dix ans plus tard.

Verlaine entama alors un long voyage vers la déchéance, et Rimbaud s’adonna avec frénésie aux voyages de plus en plus lointains, d’abord en Europe, puis vers l’Afrique et l’Arabie ! Ses "diverses pérégrinations plus ou moins effrayantes", selon Verlaine!

Le Pauvre Lélian entretient à cette époque une correspondance suivie avec Ernest Delahaye, l’ami d’enfance de Rimbaud à Charleville, dans laquelle les deux épistoliers se donnent des nouvelles de l’absent. Dans ces lettres, Rimbaud, maintenant en disgrâce auprès de Verlaine, n’est jamais appelé par son nom. Il est, au contraire, affublé des surnoms les plus charmants, comme « chose », « l’œstre » (la tique), « l’être », « Homais » (il s’intéresse aux sciences), « le Philomathe » (idem), « machin », « lui », « le voyageur toqué », et le plus gentil, le plus connu, « l’homme aux semelles de vent ». Comme le dit Philippe Sollers, pour Verlaine, Rimbaud n’est plus qu’« un déserteur, un enfant gâté, un ingrat, un réactionnaire ennemi de la poésie, un « nouveau juif errant », un « roi nègre », un « canaque » [Note 1].

Le dépit, la déception sont immenses ! Le malentendu, total ! Pas un mot, dans ces lettres, sur la Saison en Enfer, œuvre majeure publiée par Rimbaud en octobre 1873 et que les deux amis ont donc sous les yeux ! Il est vrai que Verlaine n’y apparaît pas sous son meilleur jour, puisque l’auteur écrit, à propos de cette « vierge folle », qu’il a « aimé un porc » ! Tout aussi charmant !

Rimbaud parti à Aden, en Arabie, puis à Harar, en Ethiopie, Verlaine s’attachera finalement à rappeler son souvenir et à tresser, si on peut dire, ses lauriers, dans Les Poètes maudits, ouvrage publié chez Léon Vanier en 1884. Dans ce recueil, le choix de Verlaine est excellent, qui va de Voyelles au Bateau Ivre, en passant par Oraison du soir ! En aparté, l’auteur fait un appel à manuscrits, se souvenant de poèmes de son ami qu’il recueillit dans un dossier, mais qu’il avait visiblement égarés !

Verlaine ne cache pas son enthousiasme pour "l'enfant sublime", le Casanova gosse" dont la photographie de Carjat dénote les "lèvres dès longtemps sensuelles", "une paire d'yeux perdus dans du souvenir très ancien", la "superbe tignasse [...] mise à mal [...] par de savants oreillers foulés du coude d'un pur caprice sultanesque" et le "dédain tout viril d'une toilette inutile à cette littérale beauté du diable"!

Il évoque aussi sa "très profonde admiration" pour ce jeune homme de seize à dix-sept ans qui, "à l'époque relativement lointaine de [leur] intimité", était "déjà nanti de tout le bagage poétique qu'il faudrait que le vrai public connût"! La Muse de cet "ange en exil", ajoute-t-il, "prend tous les tons, pince toute les cordes de la harpe, gratte toutes celles de la guitare et caresse le rebec d'un archet agile s'il en fut". Voilà un véritable concert d'éloges!

Par exemple, en parlant des Chercheuses de Poux, Verlaine relève "le beau balancement lamartinien [de] ces quelques vers qui semblent se prolonger dans du rêve et de la musique"! Il ajoute "racinien, même [...], et pourquoi ne pas aller jusqu'à cette juste confession, virgilien?" Quant au Bateau Ivre, c'est "l'empire de la force splendide où nous convie le magicien"!

Verlaine reconnaît que, s'il avait demandé à Rimbaud la permission d'entreprendre ce travail, ce dernier, en véritable poète maudit, l'aurait déconseillé de le faire. Mais, ne sachant où le trouver, Verlaine passa outre cette permission, en convoquant l'amitié et la dévotion littéraire! "Tant pis pour lui! Tant mieux [...] pour vous", car "tout ne sera pas perdu du trésor oublié par ce plus qu'insouciant possesseur, et si c'est un crime que nous commettons, felix culpa, alors!"

Et Verlaine a rudement ben fait de commettre cette heureuse faute, car Les Poètes Maudits sont le point de départ d'une autre aventure rimbaldienne, celle, fondamentale, capitale, primordiale pour la poésie et la littérature, de la publication des poèmes d'Arthur Rimbaud!

Cet ouvrage constitue en effet, mis à part les quelque pièces publiées par Rimbaud de son vivant, ainsi que celles qu’il a reproduites en 1873 dans la Saison en Enfer, la première publication de poèmes d’Arthur Rimbaud. Les Illuminations, qui comprennent également à ce moment-là les Derniers Vers, seront publiées par La Vogue en 1886, puis en 1892 avec une préface de Paul Verlaine, et le reste des poèmes dans deux recueils, Reliquaire en 1891 chez Genonceaux, et Poésies Complètes en 1895 chez Vanier, également préfacé par Verlaine, quelques mois avant sa mort !

Tout cela en attendant la première édition « canonique » réunissant les Poésies, la Saison en Enfer et les Illuminations en un seul volume, Œuvres de Jean-Arthur Rimbaud, publié en 1898 par les soins d’Ernest Delahaye et de Paterne Berrichon, le beau-frère de Rimbaud, au Mercure de France. La seconde édition canonique, Œuvres de Arthur Rimbaud, augmentée et provisoirement définitive, paraîtra en 1912, à nouveau au Mercure de France, sous la supervision cette fois du seul Berrichon, mais avec une préface de Paul Claudel, dans laquelle il qualifie Rimbaud de « mystique à l’état sauvage », expression restée célèbre, au même titre que « l’homme aux semelles de vent » de Verlaine et que le « passant considérable » de Mallarmé !

A ce moment-là, l'essentiel est acquis, les protagonistes historiques se sont peu à peu effacés, on peut dire que la boucle est en quelque sorte bouclée. La suite ne sera que rimbaldologie, avec quelques variantes, quelques poèmes, textes plus ou moins secondaires dénichés ici où là, de temps à autre, ainsi que beaucoup de mythologie dispensable!

Et surtout un immense mystère, aussi impénétrable aujourd'hui qu'alors, celui de la vie d'Arthur Rimbaud!

Note 1 : Philippe Sollers, « Verlaine, vilain bonhomme », in Le Nouvel Observateur, 23 juin 2005.

Jacques Davier (Novembre 2021)

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