Les Poèmes de la Lune Rouge (XXV)
Travail en cours. La numérotation du chapitre est provisoire
XXVIII
L'hiver était bien installé. Les cheminées fumaient. Jacob s'en réjouissait, car il aimait beaucoup cette saison. C'était celle du ski, des footings dans l'air glacial, des grogs et des Jaeger Tee qui vous réchauffaient en un rien de temps! Il aurait aimé retrouver Oona en rentrant à la maison, et pouvoir se blottir contre son corps. Mais il devait se rendre à l'évidence, comme à chaque retour; elle n'était pas là, elle était partie. Et même si elle avait laissé la porte très légèrement entrouverte, elle restait pour le moment sa belle en-allée.
Tâchant de positiver un tantinet, Jacob décida de ressortir le carton du libraire, et de continuer l'examen du mystérieux manuscrit. Il se souvenait qu'il était tombé, lorsqu'il lisait ce recueil de textes dans le dépôt de la librairie au sommet de l'escalier, sur un de ces fameux Poèmes de la Lune rouge, écrits à l'encre rouge, intitulé The Lovers That Never Were. Il avait immédiatement été frappé par le fait que les protagonistes s'appelaient, comme dans d'autres de ces poèmes, Jacob et Oona!
Pourquoi cette coïncidence? Oona avait prétendu que ces écrits pouvaient constituer des sorte de biographies cachées, ésotériques, d'élus ou d'élues, à savoir des druides ou des druidesses ayant le don et ayant été initiés. Oona, son Oona à lui, du moins il aimait encore à le croire, en faisait-elle partie? Lisait-il là son histoire cachée, peut-être aussi la sienne, donc? Cette histoire était-elle à prendre au pied de la lettre, ou comme une allégorie, une fantasmagorie, une sorte de texte magique se rapportant à une autre réalité, cachée? Tout cela n'en disait pas plus sur l'auteur, de toute manière! Qui pouvait-il bien être? Le libraire? Il avait dénié. L'étrange client bulgare? Peu vraisemblable, mais ce dernier savait certainement quelque chose, voir savait peut-être qui était cet étrange auteur qui vous échappait des doigts comme une anguille! Oona elle-même? Non, impossible, l'analyse interne du manuscrit, notamment du papier et des encres, démontrait un certain âge, au moins quelques dizaines d'années; elle était évidemment trop jeune! Mais il se dit que, après tout, elle-aussi savait peut-être quelque chose. Or, si c'était le cas, elle était restée totalement muette.
Cessant de se torturer l'esprit, Jacob continua de feuilleter le manuscrit. Il tomba assez vite sur le feuillet en question. Il le relut, en essayant d'être attentif au moindre détail :
The Lovers That Never Were
J’ai récemment rêvé que je me trouvais dans une pièce, avachi dans un fauteuil, écoutant une femme sympa de mes amies, discuter dans la pièce d’à côté, la porte étant ouverte, avec celle que j’aimais comme un fou, mais qui m’avait déjà rejeté ! Puis, les deux femmes vinrent vers moi, s’assirent dans les fauteuils adjacents, et continuèrent leur conversation, en m’ignorant. Devais-je intervenir ? Au moins souhaiter la bonne année à mon amour qui me détestait ? Que faire ? Je restai coi, mais lançai quelques coups d’œil vers ma dulcinée, qui me les rendit, mi-gênée mi-agacée. Puis, j’annonçai à mes deux compagnes qu’il était temps d’écouter de la musique ! Je déposai le vinyle de Ringo Starr, Rotogravure, sur la platine, et mis en mouvement le bras de lecture. La face A commençait avec « A Dose of Rock’n’roll », petit rock sans prétention, notable pour son intro, assez géniale. Cela suscita leur intérêt, sans plus. Puis, lorsque le saphir attaqua « Pure Gold », chanson écrite par Macca pour son pote des Beatles, la seule piste qu’en fait je voulais absolument jouer, car elle parlait de la copine de Ringo, une vraie beauté, mon amour s’interrompit, puis écouta attentivement, très intéressée. Elle avait compris le message, et se mis à me parler, me remerciant de leur faire découvrir ce disque, qu’elle ne connaissait pas, mais qui n'était pas mal du tout !
Deuxième partie du rêve. Nous étions assis sur un canapé, ma belle et moi, dans une autre partie de la pièce. Mon amie avait compris que quelque chose se passait, et s’apprêtait à partir, lorsque ma chérie lui demanda de lui passer son sac à bandoulière, duquel elle sortit des feuilles manuscrites et un stylo avec lequel elle corrigea quelques passages et ajouta une ou deux lignes, le bloc de feuilles posé sur ses genoux, ravissants il faut le dire ! Après quoi elle me lut ce qu’elle présenta comme une esquisse de poème inspiré de la Recherche de Proust. Elle l’avait intitulé The Lovers That Never Were. Elle me demanda mon avis, me mettant un feuillet sous les yeux. Epaté, impressionné, je lui dis que c’était parfait, que cela me plaisait beaucoup ! Je me tournai vers elle, épris comme jamais, voulant lui donner un baiser, puis en une seconde nos bouches s’unirent ! Alors que j’entrais dans une autre dimension, j’entendis la voix de mon amie, venant de l’autre bout de la pièce, dire à quelqu'un d'inconnu, peut-être au téléphone, « ça y est, ils s’embrassent ! » Puis, le rêve s'estompe, et rideau... je me réveille.
Les protagonistes n'étaient certes pas nommés, mais le contexte ne laissait aucun doute, il s'agissait de Jacob, le narrateur, et de Oona, son amour! Qu'en conclure? Pas grand chose, à vrai dire. Tout cela laissait Jacob perplexe. On tournait en rond. Les autres textes ou Poèmes de la Lune Rouge déjà examinés n'apportaient pas plus de lumière. Peut-être ne s'agissait-il que d'une blague? Ou d'un texte abandonné, oublié par son auteur? Le côté décousu de la chose laissait cependant soupçonner plusieurs auteurs. Jacob avait rapidement pu constater qu'il ne s'agissait pas d'une histoire au sens classique, comme un roman policier par exemple, mais d'une tapisserie, d'une mosaïque d'histoires, entremêlées, tissées, mélangées à passablement de poèmes. Il pourrait assez volontiers définir ce patchwork comme du cubisme littéraire!
Soudain, il pensa à Barbara! En effet, elle avait écrit une thèse sur le druidisme irlandais, elle pourrait probablement lui donner des pistes. Il avait besoin d'aide. Il chercha son numéro.
Jacques Davier (Janvier 2021)