Les Poèmes de la Lune Rouge (XIV)
Travail en cours. La numérotation du chapitre est provisoire.
XXVI
Jacob emporta le carton, que le libraire lui avait cédé pour un très bon prix. Le libraire avait d'abord rechigné, puis, reconnaissant qu'il ne ferait jamais rien de ce manuscrit, finit par accepter de le vendre. Il préférait, au fond, qu'un passionné de littérature l'étudiât plutôt qu'il dormît dans la poussière, on ne savait jamais, il se pouvait que quelque chose d'intéressant en sortît!
Jacob inspecterait enfin ce mystérieux manuscrit au calme et à tête reposée! Le lendemain, il s'installa dans la cuisine, et posa le carton sur la table. Avant de s'atteler à la tâche, il but le café qui restait dans la napolitaine. La boisson était tiède, mais bah, tant pis, Jacob n'attachait aucune importance à ce détail! A la guerre comme à la guerre!
Mission numéro un, trouver qui était l'auteur de ce, ou plutôt de ces textes. Pour ce faire, pas d'autre solution que de passer les feuilles en revue, une par une. Il sortit le paquet du carton, le posa sur la table, et s'assit. Il prit la première feuille, la retourna, la posa à côté du paquet, puis passa à la deuxième, et ainsi de suite. Après avoir scruté et lu en diagonale une bonne cinquantaine de feuilles, toujours rien, pas de nom, aucun indice! La prose et la poésie se succédaient sans ordre, sans logique apparente, avec une numérotation anarchique.
Il allait continuer, lorsque le verso de la dernière feuille examinée attira son attention. Il s'agissait d'un poème, écrit en "français" méconnaissable, avec un chapeau de présentation. C'était en réalité une sorte de sabir trituré, constitué de néologismes, d'idiotismes ou de mots valises bizarres. Il lut.
Sympathetic Paramedic
Voici le pidgin, le langage déconstruit, informe, proprement insensé, qui sera parlé dans l'Humanité des années 2500... C'est l'Homme terminal, voyageur spatio-temporel émérite, venu sur Terre en catimini et incognito, et aussitôt reparti, qui le révéla à quelques personnes de choix.
Sympathetic paramedic
Gallipedic automatic
Realitic anacondic
Flagellamic rapamusic
Anapurnic estonimic
Artitaric mataharic
Swasililic polarisic
Majoritic minoritic
Verasidic mensongibic
Enfournamic resorbatic
Volupatic colonomic
Yokohonic lennononic
Lilililic olololic
Pistoletic criminalic
Verduriric criminilic
Mulululic nalalalic
Seneletic reservetic
Monjoiroric francofieric
Stupiditic polititic
Vivisectic horribilic
Corsotoric sololilic
Venividic osivicic
Partavalit enimitic
Molobolic parturoric
Ricaracric racarircic
Mojoboric hobololic
Nanavalic feminitic
Confesenic oftalmolic
Matadoric matamoric
Ecrituric otomatic
Venevosic ororartic
Debilitic banananic
Frenefetic melemelic
Dicodedic rimariric
Erureric cerverevic
Folofolic filufilic
Setesetic concecritic
Affabulic climatitic
Ororific coronavic
Senectutic sacrifitic
Energusic kaputotic
Societatic maladodic
Amaludic neriteric
Voitituric electrolic
Feminitic vitriolic
Nokolotic moliteric
Asitonic merotrotic
Bligilustic Stopladidic
Cenisuric Exprisuric
Mekeskidic ceconlalic
Sabiritic galimatic
Sympathetic paramedic
Tout cela était pure folie! Il reposa la feuille sur le tas, et s'absorba dans ses pensées. Il se souvint de ce que lui avait dit Oona à Zermatt, à savoir que selon certaines sources les Poèmes de la Lune rouge étaient des textes magiques. Cette espèce de litanie aurait tendu à valider cette hypothèse, mais Jacob repoussa l'idée, car il ne croyait guère en la magie, fût-elle occulte ou même druidique! Il doutait que lire le texte a voix haute, comme certains le préconisaient, pût avoir le moindre effet, surtout un tel charabia! De plus, ce texte était présenté comme ayant été livré aux hommes par un être venu du futur, l'Homme terminal, déjà rencontré dans un autre poème du manuscrit. De la science-fiction, en plus!
Il décida de s'arrêter là pour le moment. Force était de constater qu'il n'avait toujours pas identifié l'auteur, ni pu émettre la moindre hypothèse à son sujet. Il était perplexe. Les rares textes qu'il avait lus intégralement étaient de qualité inégale. Il commençait à douter que tout cela pût être réellement intéressant. Il en avait marre! Au fond, se dit-il, ce n'était peut-être qu'une blague, qu'une vaste fumisterie! Il rangea les feuilles dans le carton, et posa celui-ci sur un rayonnage de la bibliothèque. Il lui restait encore un bon deux tiers du manuscrit à lire.
Il était une heure, et il n'avait pas mangé. Jacob mit ses chaussures, enfila sa veste et sortit dans l'air frais et ensoleillé d'un printemps qui tardait à se mettre en place. Il se rendit au tea room du coin, où il s'assit à sa table habituelle et commanda un club sandwich et un café. Oona, qui était partie en week-end à Venise avec ses copines, lui manquait. Il se faisait mal à l'idée de devoir l'attendre jusqu'au lendemain soir. La patronne lui apporta sa commande. Il mangea. Après quoi il ouvrit son Mallarmé.
Jacques Davier (Avril 2020)