Gare de Genève, dernière station (debout) avant le gnouf !
Cet été, les derniers bancs de la garde de Cornavin ont été supprimés, déboulonnés, virés des quais, envoyés à la casse!
Les CFF, en bons émules rimbaldiens qu’ils sont, à leur insu rassurez-vous, en veulent, et plus que cela, s’en prennent carrément, aux « assis »!
Vous êtes sur le quai. Vous êtes fatigué, le train tarde à entrer en gare. Vous désirez vous asseoir, afin de vous reposer un brin. Mais, las, ni à gauche, ni à droite, ni derrière, pas un seul banc! Vous êtes prié de renoncer à la station assise. Comme la masse des autres passagers, qui cherchent tout aussi vainement que vous un siège salvateur!
Puis, vous comprenez que, désormais, les assis, les affalés, les vieillards ne tenant plus debout, les handicapés, les femmes enceintes, les touristes ahuris par des heures de déambulation aux quatre coins de Genève ou de la Suisse, les politiciens en campagne électorale (!), bref, tous ceux qui s’assiéraient volontiers un brin, histoire de souffler et de reposer leurs gambettes, ne sont plus les bienvenus en gare de Genève! Ils doivent subir le supplice de rester debout!
De même, les rêveurs, les poètes, pour qui paresser, perdre son temps, flemmarder, lézarder le séant délicatement posé sur deux planches lustrées et accueillantes, le dos calé contre une troisième, les jambes croisées et tendues, les talons posés sur le bitume, confine à l’art de vivre, sont identiquement éjectés des locaux des CFF, désormais voués à la seule clientèle déambulant d’un train à l’autre, d’un quai à l’autre, d’une urgence à l’autre, qui n’imagine même pas que s’asseoir en chemin soit de l’ordre du possible! Ni du souhaitable! Ni même de l’agréable!
Lorsque j’étais au collège, je prenais le train de la ligne La Plaine Genève. En fin d’après-midi, il y avait parfois un certain temps d’attente entre la fin des cours et le départ du train. En gare de Cornavin, j’étais bien content de pouvoir me relaxer sur un banc, près du quai où le train n’arriverait que dix ou vingt minutes plus tard, et où souvent je rencontrais des camarades, perdus comme moi entre deux lieux, entre deux mondes, entre deux vies! Faire un brin de causette sur un banc des CFF est un art qui, apparemment, se perd…
Jeunes en course d’école, voyageurs sac au dos assis sur les marches des escaliers, allez, ouste, circulez! Lesdites marches sont même pourvue d’un logo « station assise interdite »! Il faut être à la fois plus imaginatif que la moyenne, genre technocrate, et particulièrement vicieux, pour avoir fait une telle trouvaille. Or, hélas pour nous, les CFF sont les deux!
Voudriez-vous poser vos fesses sur un bout de quai, à l’écart, qui vous semble peu fréquenté et propice au repos, ni une, ni deux, la police ferroviaire ne tardera pas à vous faire déguerpir!
Notre société, pardon, les CFF, nous prie d’être jeune, beau, svelte, cycliste, nageur, grimpeur, lutteur, boxeur, marcheur, coureur, bref, suffisamment en forme pour pouvoir rester debout de longues et interminables minutes en bordure de voie de train! Tout cela parce que les assis « gênent »! Gros, sans parler d’obèses, quelle horreur, handicapés, laids, tout tordus, biscornus, faibles sur vos jambes, vieux, malades, vous insultez le culte actuel, presque hitlérien, de la jeunesse victorieuse, aux corps admirablement sculptés et pétant de santé! Vous serez donc punis, au gnouf! Comme le pouilleux, le clochard, trouvé à pioncer sur un banc de la gare, quand il y en avait! Au cachot le clodo! Mais, car on savait vivre à l'époque, avec un quignon de pain et un litron de rouge!
Jacques Davier