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essai

  • Le vol des lettres (6ème et dernière partie)

    6. Epilogue

     

    Où furent les lettres celées ? Nul ne le sut. Delechut coupé en pièces, décimé, Frédégonde Elise enfuie vers complices bernois (qui giguent depuis sept jours sur des rythmes effrénés) son père triste et perdu et perdu et triste de ce dénouement que c’est terrible de souffrir en silence, il semble bien que les lettre primitives sont définitivement dissipées, envolées, et c’est horreur pour l’Homme… Comment s’exprimer juste en futur ? Comment dire ? Comment dire ? Trop dur, trop difficile, plus pouvoir écrire, muet devenir, voyelle, lettre, lettre, où ? Où es-tu ? Où es-tu ?

     

    S’envolent les lettres sur nos têtes, ès vents menées, volètent et tourbillonnent toutes, les belles, les seules, originelles et sublimes ! Elles voguent loin de notre terre, les voyelles, portées vers les confins de l’Univers, en le silence de cette nuit éternelle qui sur le monde et l’Homme muets se pose…

     

    Jacques Davier – Septembre 2010 - Mars 2018

  • Le vol des lettres (5ème partie)

    5. Une Lettre pour Elise

     

    Frédégonde Elise, toutefois, ne put tolérer ce dénouement. Meurtrière en série (exemple Clovis, fils de Chilpéric), multi-récidiviste, elle voulut du crime, une tonne de crime et des victimes bien refroidies. Elle se mit en tête de retrouver les lettres volées pour les seriner en bonne et due forme, et les voir définitivement étendues en le fond du trou.

    Elle rejoignit Delechut, pour qu’il l’informe du lieu sûr où il mit les voyelles. Elle le trouve en Genève, sur le chemin d’une Bibliothèque de zone. Il est pris de remord, refuse de divulguer le lieu, ne veut ce meurtre. Les lettres ont souvent gémi lors de l’enlèvement, elles souffrent et il souffre de même ; pour elles, pour elles, il souffre et peine et souffre et tellement, tellement de remords éprouve qu’il croit être perdu, en Enfer tombé…

    Il compose donc une Lettre pour Elise (Für Elise), lui, fortiche ès nombreux instruments de musique, et joue ce futur tube très, très fort, puisqu’un public nombreux, scotché en ce bus genevois, écoute cette belle musique. Il pense, lui le désespéré, qu’il produit ici quelque chose de terrible, de tigresque, de monstrueux, de beethovenesque, voire presque teinté de rock pink floydesque, digne du splendide Echoes, et se félicite de son génie…

    Ce son est joué pour Frédégonde Elise, il veut rendre plus douce cette personne dont l’instinct est bien trop meurtrier. Est-ce succès ? Elle, toute tournée vers les lettres, n’entend rien de cette Lettre, et fuit vers grenier de Bibliothèque pour piéger son ex-complice, « devenu fou », qu’elle dit. Plongée en ombre de combles, elle ourdit piège, tend filets, tisse toile, telle une pour insectes (et Delechut insecte est devenu, oh oui).

    Louis Jules, chu d’express, siffle Ennio, veut voir fille, entre en bus, court vers zone, prend un siège, espère mots, scribe perdu, et s’endort.

    Entre temps, Frédégonde Elise voit Delechut, lui tire dessus, le pulvérise, jette les bouts hors immeuble, et s’enfuit.

    (A suivre)

  • Le vol des lettres (4ème partie)

    4. Le vol des lettres

     

    Delechut mit en œuvre le projet de Louis Jules, en vue de quoi il lut, pour viser le top du top, l’œuvre entier de Perec (soyons fous !), écrivit Belles présentes en chemin, et s’en fut enlever l’horrible voyelle. Il eut un énorme succès ! Toutes les lettres envolées de tous les textes où elles furent mises ! Dérobées des mots et des lignes, des vers et des strophes, toutes les belles-lettres, les lettres policières, les lettres dessinées, les lettres scientifiques (ici, ce ne fut point perte, et ce fut des fois un plus), même les lettres cuisinières, bouleversées ! D’un coup, une lettre d’une petite Gertrude pour Chère Mémé, écrite de Verbier, sous neige continuelle, pour Noël, devint incompréhensible… De même, les proses du Conseil de commune de Genève, consignées en ses Mémoires, de coutume fort réputées, sombrèrent en l’obscur et l’insensé… Pire encore, tous les poèmes de Rimbe furent privés de leur noire voyelle ! Folie, folie et misère sur le monde, en tous ses lieux et en tous ses temps…

    Delechut couvrit son butin en lieu sûr, et s’en fut en ville de Berne prendre le direct pour Genève, où il eut vent de devoir conférer en une petite bibliothèque de zone, sur son métier précédent, privé (imper choc et feutre chic).

    Frédégonde Elise se mit en route vers le logis de ses complices du Club des Scribes en folie d’Olten, pour leur dire l’heureux dénouement de leur noire entreprise. Ici, point de bourre-mou ou de boniment ; le jeu est direct, le mot limpide, et le geste impérieux ! Le Club, heureux de ces nouvelles, hurle de joie et se réjouit de voir, courtesy of Delechut et son vol, chuté l’ennemi de toujours, cette droitière Société des gens de Lettres (hé, hé, hé) si honnie.

    Tout d’un coup, impulsivement, quelques-uns d’entre eux, une petite meute, foncèrent vers Berne, descendirent en fosse où vivent ours pour un event sur le pouce, et, vêtus Knie style, debout sur le dos des bêtes étonnées, ils hurlèrent :

    « Dispersée, votre lettre primitive chérie, votre inutile voyelle ! Vous ne fomenterez plus vos coups contre Justice, Vérité et Futur Illuminé ! Vivent les jours divins du Monde Neuf de Lénine, celui qu’en secret nous voulûmes de nos vœux un si long temps que nous en eûmes les cheveux gris !

    Envolée cette voyelle, plus d’horribles chemises noires linguistiques contenues en vos ignobles discours, perfides cerbères de l’extrême droite ! Finies, les tromperies du peuple ! Enterrées, les funestes logorrhées lepénesques et blochériennes ! Déconfits, les ignobles scribouilleurs freisingériens ou windischiens ! Nihilisés, les discours bruns ! Nous, les scribes de l’essor entonnons enfin l’hymne des futurs qui pépient !

    Voici que l’écriture du réel communiste est victorieuse ! Sublime révolution !! »

    Puis les ours les boulottèrent.

    (A suivre)