Travail en cours. La numérotation du chapitre est provisoire

XLV

Jacob et Oona étaient de retour à Zermatt. Oona pilota la BMV à la manière d'un Fangio, attaquant le Mattertal tel un bouquetin à l'assaut du Cervin! En deux temps trois mouvements, ils étaient rendus à Täsch. Le parking était à moitié plein, chose des plus agréables. Ils se garèrent dans une allée peu occupée, loin de tout véhicule, puis se dirigèrent vers les guichets où ils achetèrent deux billets de train aller-retour. Jacob traînait un peu, à cause des cannes et de sa cheville blessée, maintenue dans une attelle.

Le wagon était presque vide, et leurs modestes bagages semblaient perdus sur l'immense chariot prévu pour une jauge hivernale! Cette fin d'après-midi ensoleillée de juin offrait encore une belle lumière, ce qui fit dire à Oona qu'elle peindrait volontiers un petit paysage de montagne, à la Calame ou à la Diday, si elle savait peindre! Jacob lui répondit que oui, certes, mais qu'elle ne devait pas oublier qu'elle était une excellente photographe! Ce qui la motiva! Elle sortit son Natel, et prit quelques clichés à travers la vitre du train. On verra ce que cela pourra donner, ou non, dit-elle!

Arrivés à la gare, Oona prit le chariot, et mena l'équipage d'un pas martial. Jacob peinait à suivre, deux mètres derrière elle. Lorsqu'il la rejoignit sur la place, elle avait déjà hélé un taxi, qui était en train de charger les bagages. Il s'assit avec soulagement sur la banquette, et ordonna au chauffeur de les mener au Unique Hotel!

Cet hôtel, beau comme un sou neuf, était en effet unique! Ils aimaient y descendre, et ils y avaient leurs habitudes! Le maître d'hôtel savait quelle devait être la cuisson de leurs viandes, exclusivement rouges! Leur suite était spacieuse. Elle comportait un coin salon cheminée avec feu de bois, agrémenté d'une petite scène sur laquelle on pouvait projeter des hologrammes de vos groupes de rock, de jazz, chanteurs pop ou orchestres de chambre préférés! Le choix était énorme. Vous pouviez même vous faire brièvement filmer par la caméra de surveillance et, de la sorte, par la magie du numérique, prendre la place d'un musicien sur scène, voire, si vous étiez assez nombreux, ou étiez seul mais assez égocentrique pour vous voir plusieurs fois sur scène, prendre la place d'un groupe de rock au complet!

Jacob et Oona ne mangeaient pas de ce pain-là, toutefois, et choisirent de projeter un concert fictif au Royal Abert Hall, fin 1968, lors duquel les Beatles, parfois accompagnés de George Martin, d'Eric Clapton ou d'autres musiciens, interprétaient l'entier du White Album. C'était déjà aller assez loin dans la transgression virtuelle, pensaient-ils!

Ils s'étaient fait monter une bouteille de champagne, afin d'accompagner la musique, qui n'était au fond que le disque classique de 1968 qu'ils connaissaient par cœur, d'un apéro digne de ce nom! Après quoi, ils descendirent au Top Chef Restaurant, où les attendait leur menu habituel, dont la pièce de résistance était un filet de bœuf de derrière les fagots, le meilleur au sud du Rhône, quoiqu'il en soit, et au nord aussi, se disaient-ils in petto! Le bordeaux 1995 ne faisait certes pas tache!

Après ce repas de rois, ils remontèrent dans leur chambre, et constatèrent un fois arrivés qu'ils étaient sacrément en forme! Puis, ayant avec bravoure et entrain sacrifié à Venus, et célébré leur amour, ils se calmèrent, et dormirent comme des loirs!

Le lendemain matin, après leur petit-déjeuner pris dans le Salon ovale, Jacob regarda Oona s'en allant rejoindre Barbara pour une petite marche en montagne, puis alla s'installer dans un des fauteuils Régence du Grand Salon. Là, il sortit ses textes de son sac à dos, et s'affaira à les mettre en forme. Il entendait écrire une sorte d'Evangile laïque, ou de faux Evangile apocryphe, dont il ne savait pas encore quoi faire exactement.

Il commença par lire.

Extrait du Journal de Jacob. La vie spirituelle nécessite une discipline que peu de gens possèdent. C'est pourquoi beaucoup se perdent dans d'inqualifiables futilités.

Extrait du Journal de Jacob. Notre monde est en train de sombrer dans la folie pure, qui est l'extrême religion!

Extrait du Journal de Jacob. Il y a une chose qu'il faut comprendre. C'est que, dans le cadre de cette folie, le simple fait de dire, d'exprimer un désaccord est maintenant considéré comme une transgression, voire une agression!

Que dire? Il avait présenté ces aphorismes, et quelques autres, à Oona, qui lui répondit, goguenarde :

- À la lecture de ce qui précède, il y a fort à parier que l'Évangile de Jacob sera soit oublié, soit rangé parmi les apocryphes les plus extrêmes! Elle ajouta, en plaisantant :

- Tu pourrais d'ailleurs prêcher, voire, avec énormément de chance, entrer dans les ordres!

Il rêva. Il se serait volontiers vu en digne successeur de Jacques de Molay, vengeant les ignominieux massacres des Templiers perpétrés par Philippe le Bel. Il était certain de pouvoir compter sur le soutien et l'encouragement de Oona, dont il connaissait l'attrait pour l'occultisme et le merveilleux médiéval! Le Trésor des Templiers, dont elle affirmait qu'il était spirituel, l'avait fait rêver depuis toute petite.

Il écrivit, dans l'idée d'un éventuel développement pour une publication dans la feuille (de choux, comme il aimait à la qualifier) de Carpaccio, ces quelques lignes :

Le procès des Templiers (1307-1314), est par ailleurs un très bel exemple de fake news et mensonges utilisés politiquement par le roi Philippe le Bel, pour détruire un ordre religieux devenu trop puissant à son goût! Sans oublier les aveux obtenus sous la torture! Avec la complicité forcée du Pape, incapable de s'opposer au Roi de France! Pas joli, joli, tout ça, et déjà totalement pourri! Que penser de ce triste sire qui a en plus fait emprisonner ses belles-filles sur des rumeurs, apparemment?

Il y avait des liens évidents avec notre époque, jugeait-il. Il était certain que des extrémistes, mais se disant bons démocrates, ne rechigneraient pas à appliquer les méthodes du roi, qui comprenaient une petite séance finale de rôtissement aux petits oignons sur le bûcher, pour éliminer leurs opposants! Littérairement, on avait là de quoi faire!

Mais n'anticipons pas! L'heure avait tourné, Jacob avait beaucoup travaillé, se contentant d'un croque-monsieur et d'une petite arvine à midi. Il se dirigea vers le bar Aux Deux Magots, où il s'installa sur un des tabourets moelleux recouverts de cuir souple rouge foncé. Là, il sortit son Rimbaud, commanda un café, et lut, en commençant par la section Derniers Vers! Le bar était vide. Il avait rendez-vous dans une heure avec les deux marcheuses!

Jacques Davier (Juin 2021)