Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les Poèmes de la Lune Rouge (XXII)

Travail en cours. La numérotation du chapitre est provisoire.

XXXIV

Oona ouvrit soigneusement le colis qu'elle avait ramené la veille. Ce paquet, emballé dans du papier kraft qui gisait maintenant avec la ficelle sur le tapis du salon, avait été remis à Oona par son amie Barbara lors de sa conférence sur le chamanisme celtique. Il avait bien sûr aiguisé la curiosité de Jacob

Oona exhiba fièrement un manuscrit soigneusement relié, intitulé Le Dict des Trois Druides et des Trois Lunes. Il s'agissait en fait du Mémoire de Licence universitaire de Barbara, consacré à une légende celte datant du Haut Moyen Age. Barbie, comme on l'appelait affectueusement, avait étudié la légende en la replaçant dans son contexte de christianisation de l'Irlande, avec une perspective d'histoire comparée des religions et de leurs influences réciproques. Il en ressortait très clairement que cette légende avait été influencée par le récit chrétien des Trois morts et des trois vifs.

Oona parla abondamment du travail de son amie, auquel elle avait participé en tant que "conseillère". Elle expliqua à Jacob que le Dict des Trois Morts et des Trois Vifs était très répandu et populaire dans le Moyen Age chrétien. Il fit l'objet de nombreuses fresques ornant les églises, ainsi que de nombreux écrits et poèmes, disséminés dans des livres d'heures, livres de dévotion ou encore psautiers. Il s'agissait de mettre en garde les vivants orgueilleux contre leurs vices et péchés, afin qu'ils restent fidèles aux préceptes de la foi et de la religion, pour préparer leur mort et de la sorte éviter de brûler en Enfer!

Un des poèmes des Trois Morts et des Trois Vifs, celui de Baudoin de Condé (écrit entre 1240 et 1280) se termine par cette mise en garde des morts aux vivants :

« Priiés pour nous au Patre nostre
S'en dites une patrenostre
Tout troi de boin cuer et de fin
Que Diex vous prenge a boin defin. »

Ce qui peut se traduire par :

"Priez pour nous Notre Berger / Et dites aussi un notre-père / Tous trois de bon cœur et sûrement / Pour que Dieu vous assure une bonne mort."

Le travail de Barbara consista notamment, mais pas seulement, à trouver des liens entre cette légende chrétienne et les mythologies celtes. Et elle en trouva, en particulier dans le chamanisme druidique! C'est grâce à Oona, et aussi à la mère de celle-ci, Tara, qu'elle put mettre la main sur un manuscrit conservé à la bibliothèque du Trinity College, à Dublin. Certes moins beau que le Livre de Kells, le Dict des Trois Druides et des Trois Lunes, ainsi qu'il est connu dans la tradition ésotérique française, n'en constitue pas moins un bon exemple d'enluminure médiévale. Bizarrement, il ne fut jamais proprement étudié avant la thèse de Barbara, supposément qu'il eût été pendant plusieurs siècle bien caché dans l'enfer de la Bibliothèque. Seule l'insistance de Tara put l'en faire sortir!

Oona avait déjà expliqué à Jacob que sa mère était une élue, à savoir une druidesse qui avait le don et avait reçu l'initiation. De ce fait, celle-ci connaissait depuis longtemps, de par les milieux dans lesquels elle évoluait, l'existence cachée de ce manuscrit, dont elle avait souvent parlé à celle-là. Et elle fit jouer toutes ses relations pour que le Dict des trois druides [...] puisse sortir de l'obscurité et être étudié sérieusement, c'est-à-dire non seulement d'un point de vue ésotérique, comme il l'avait été jusqu'alors, mais aussi d'un point de vue scientifique, avec une approche relevant de l'histoire comparée des religions!

Et, dit-elle à Jacob, ce fut une bénédiction pour elle d'apprendre que Barbie, son amie d'enfance, toujours très proche de sa mère et passionnée de chamanisme et de mythologie celtiques, se proposait de consacrer sa thèse à ce manuscrit.

C'est le résultat final qu'elle tenait entre les mains! Enfin! Elle mourait d'envie de le découvrir, et commença de feuilleter la thèse, pendant que Jacob préparait le petit-déjeuner. Il dressa la table de la cuisine, se servit une tasse de café et en apporta une à Oona, qui était en pleine lecture, puis retourna dans la cuisine; il se fit une tartine à la confiture de fraises qu'il mangea tout en lisant le journal.

Elle le rejoignit à la cuisine, disant que cette thèse était tout à fait prometteuse. Elle se réjouissait d'aller assister à la soutenance de Barbara, deux mois plus tard! Son amie avait mis le doigt sur un phénomène d'acculturation classique, mais encore inconnu. En effet, les trois cadavres s'adressant à de jeunes et riches piétons ou cavaliers de la tradition chrétienne étaient remplacés par trois personnifications féminines de la lune s'adressant à trois druides, de caste supérieure comme on le sait dans le monde celte. Ces lunes ne prévenaient pas les druides contre une mort plus ou moins lointaine, ne les menaçaient pas de pourriture ou de décomposition cadavérique à venir dans un futur horrifiant, mais au contraire leurs donnaient des incantations divinatoires, des remèdes et des recettes à base de plantes médicinales et des formules magiques permettant de s'assurer une vie éternelle. Ce qui était intéressant, c'est que c'était à la fois la même chose et pas la même chose! Elle se réjouissait de continuer la lecture!

Mais ce serait pour un autre jour, parce qu'elle souhaitait consacrer celui-ci à son Jacob, lequel débarrassait la table! Elle le rejoignit pour faire la vaisselle. Une fois le ménage terminé, ils s'habillèrent et descendirent au garage, où ils entrèrent dans la BMW. Jacob alluma le moteur, actionna l'ouverture automatique de la porte et sortit de l'immeuble. Une fois dans la rue, il sourit à sa compagne, et prit la direction de l'autoroute. Ils avaient en effet choisi d'aller passer la journée à Berne!

Jacques Davier (Décembre 2020)

Les commentaires sont fermés.