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dardagny - Page 7

  • Dardagny (Portrait de la Terre)

    Dardagny est ma terre, mon village, mon repaire et mon refuge… Dardagny l’hiver est un lieu magique. Les vignes enneigées sont comme endormies, et mon âme s’allie à ce paysage silencieux, que seul un croassement trouble, rare et lointain…

    Pour J.M.G. Le Clézio

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  • UN MANOIR AU PURGATOIRE, OU LA DIFFICILE RESTAURATION DU CHATEAU DE DARDAGNY (3ème Partie)

    3. Le château à travers les âges (XIIIe-XIXe)

     

     

    Tout roule avec des mystères révoltants

    De campagnes d’anciens temps ;

    De donjons visités, de parcs importants :

    C’est en ces bords qu’on entend

    Les passions mortes des chevaliers errants :

    Mais que salubre est le vent

    (Arthur Rimbaud, La rivière de cassis)

     

     

    Le site sur lequel s'élève le château de Dardagny était déjà occupé par une villa gallo-romaine au premier siècle de notre ère, comme l'attestent des découvertes archéologiques : tuiles romaines, fragments de peintures murales, tessons. Le nom même du village vient probablement d'un dénommé Dardanius, grand propriétaire romain sur les terres duquel s'élevait la villa; cela fait donc au moins deux millénaires d'occupation humaine à Dardagny, même si la localité n'entre dans l'histoire qu'en 1100, à l'occasion d'une donation de biens ecclésiastiques.

    A cette époque, aucune mention d'un château à Dardagny; les seigneurs qui comptent, sur le territoire de l'actuelle commune, sont ceux de Malval, dont le castel s'élevait sur les hauteurs des Baillets. C'est en 1280 qu'est cité pour la première fois un seigneur de Dardagny, Aymon, chevalier et vassal du comte de Genève duquel il reçoit par testament trente livres. Et qui dit seigneur, dit château ou, en l'occurrence, maison forte. En effet, au début du XIVe siècle existent à cet emplacement deux maisons fortes, séparées par une ruelle dont la largeur correspond grosso modo à celle du hall d'entrée actuel; en 1298, ces deux bâtisses appartiennent à chacun des deux seigneurs qui se partagent le fief de Dardagny : André de la Corbière (maison sud) et Michaud de Livron (maison nord). Le premier bâtiment, agrémenté de galeries côté sud, a deux niveaux et est flanqué d'une tour d'angle (celle où se trouve aujourd'hui la mairie); le second, plus petit, se résume à un rectangle d'un seul niveau.

    Les deux maisons passeront en de nombreuses mains. Les biens des de la Corbière échoient aux de Confignon et, en 1378, une alliance de Confignon - de Livron réunit pendant quelques années les deux seigneuries au sein de la même famille. C'est alors que le fief prend le nom de Dardagny, Châteauvieux et Confignon. Il passe ensuite à Humbert d'Hauteville, époux d'Hélinode de Confignon, mais l'absence d'héritier mâle amène une nouvelle division : deux branches se forment, d'une part les de Confignon, de l'autre les Marchand - d'Hauteville, qui sont elles aussi suivies par une longue série de feudataires.

    A la Réforme (1536), le fief de Dardagny, Châteauvieux et Confignon devient vassal de la Ville et République de Genève. Il restera divisé pendant un siècle encore, jusqu'à ce qu'Amédée Favre, bourgeois de Genève, réunisse en 1646 les deux seigneuries entre ses mains, définitivement cette fois : à ce moment prend fin l'histoire des deux maisons fortes et commence celle du château. En effet, le fils d'Amédée, Daniel Favre, conçoit l'idée de réunir les deux manoirs en un seul. Dans ce but, il entame en 1655 d'énormes travaux, commençant par exhausser à une hauteur de trois niveaux les deux bâtiments ainsi que la grosse tour d'origine, au sud-ouest. Puis, il ajoute trois nouvelles tours d'angle de même hauteur et relie enfin les deux ailes du château, côté Jura, par une galerie en bois couverte, fermée et dotée, en son milieu, d'une tour d'escalier adossée à la façade pour donner un peu d'unité à cet édifice, qui se présente maintenant comme un fer à cheval ouvert côté Salève sur une cour intérieure, une terrasse et des jardins agrémentés d'un bassin et d'un jet d'eau. Le château de Dardagny, avec ses deux tours toisant le Salève, et ses trois autres regardant le Jura, prend forme et, même s'il a déjà l'allure d'un château de plaisance qui ne rappelle en rien la féodalité et s'il occupe déjà pratiquement la même assiette qu'aujourd'hui, ce n'est pas encore la bâtiment que nous avons sous les yeux.

    La seigneurie est acquise en 1683 par Jean-Antoine Lullin puis, en 1721, par Jean Vasserot. Ce noble hollandais, également seigneur des Vaux et banquier d'Amsterdam, meurt trois ans plus tard; mais son fils Jean, lorsqu'il hérite du domaine en 1731, nourrit de belles ambitions pour son château, qu'il va transformer en splendide maison de maître style XVIIIe siècle. C'est ainsi que "Noble Vasserot" démolit la tour d'escalier et aménage un hall d'entrée muni d'un grand escalier d'honneur avec barrière en fer forgé qui rejoint la galerie du premier étage; dans sa lancée, il refait la facade côté rue, à laquelle il ajoute un balcon soutenu par deux colonnes. Côté Salève, il ferme la cour intérieure pour y aménager une salle des fêtes, la "Salle des Chevaliers", décorée de fresques à l'italienne en trompe-l'oeil et agrémentée de deux cheminées au-dessus desquelles trônent les armoiries du seigneur. La salle forme un avant-corps en saillie sur la facade, percé de baies vitrées donnant sur la terrasse et surmonté d'un fronton triangulaire orné des armes des Vasserot. Enfin, le cadran solaire est déplacé de l'ancienne cour dans l'escalier central, et n'a plus d'autre utilité que décorative. Ces travaux seront achevés en 1740. Concernant la cour du château, signalons que la fontaine qui s'y trouve est ouverte d'un côté, en 1727, aux gens du village, et que les dépendances - ou "communs" - qui l'entourent consistent essentiellement en un grand bâtiment contenant la grange et deux étables, un second avec cuisine, laiterie et écurie pour douze chevaux, enfin la grange des dîmes qui accueille une autre étable et le logement du granger. Ces dernières seront détruites en 1932 (voir ci-dessous).

    Le fief échoit en 1775 à Jean-Philippe Horneca, ci-devant pasteur de Dardagny mais, surtout, époux de l'héritière Vasserot, Marie-Renée-Christine, soeur du dernier comte du nom. Il la transmet en 1779 à son fils Jacques-Antoine, qui change son patronyme en Horngacher. Celui-ci exécute le dernier aménagement intérieur du château : l'installation en 1780 d'un orgue dans la Salle des Chevaliers et le prolongement de la galerie du premier étage jusqu'à la porte permettant d'accéder à l'instrument. Horngacher grave aussi deux devises sur les facades de sa demeure : "Inveni portum; spes et fortuna valet, 3 juillet 1780" (Me voilà au port, adieu fortune et bonnes espérances) au-dessus de la porte d'entrée, et "Curarum dulce levamen, 1781" (Doux soulagement aux peines), sur le fronton est. Enfin, il refait entièrement la fontaine.

    En 1795, la seigneurie est vendue à la Nation genevoise, qui rachète, Révolution oblige, tous les droits féodaux; le château et ses terres restent toutefois entre les mains de leurs légitimes propriétaires. Mais en 1848 les Horngacher les vendent à Jean-Louis Fazy. Le "règne" Fazy s'achève lorsque, après le décès de Jean-Louis en 1879, la propriété est partagée entre ses deux filles. Blanche Fazy hérita du château, puis épousa Louis Glardon. Pendant quelques temps, le couple mena grand train au château. Mais la propriété, « gagée, comme l’écrit Jacques Gros, par un créancier ayant fourni un certain capital », échut à ce dernier, un dénommé Jean-Marie Berthier de Lyon, en 1884.

    (A suivre)

    Jacques Davier

    NB : la bibliographie figure dans la dernière partie

     

     

  • UN MANOIR AU PURGATOIRE, OU LA DIFFICILE RESTAURATION DU CHATEAU DE DARDAGNY (2ème Partie)

    2. La vie au village (fin XIXe-début XXe)

     

     

    C’est ta rue Saint-Paul

    Celle où tu es né,

    Un matin de Mai

    A la marée haute,

    (…)

    C’est ta rue Saint-Paul

    Blanche comme un pôle,

    Et dont tu fus l’hôte

    Pendant des années

    (Max Elskamp, La Chanson de la rue Saint-Paul)

     

     

    C’était, à Anvers comme à Genève, le temps des sédentaires, de ceux qui bougeaient peu, qui n’allaient guère loin, le temps d’avant les avions, à peine celui des trains. Voici comment Georges Verdène présente Dardagny, dans le chapitre intitulé « Le nid sur la colline » de ses Symphonies rustiques : « Dardagny, perché sur un plateau qui domine le Rhône de haut, est un gros village cossu. Il a un vrai château. Quatre tours carrées, coiffées en éteignoirs, autour d’une carcasse de pierre, dans un fouillis de verdure et de lierre. C’est la gloire du Mandement ».

    En 1900, la commune de Dardagny compte 781 habitants ; elle est essentiellement agricole, mais un pôle industriel, notamment dans les domaines électrique et chimique, se développe à La Plaine depuis l’ouverture de la ligne de chemin de fer du PLM en 1858.

    L’évolution démographique de la commune peut se lire dans celle de ses écoles. Si, traditionnellement, l’école fut au XIXe siècle toujours située dans le chef-lieu, dès 1879 le besoin se fit sentir d’ouvrir à La Plaine une école enfantine, ainsi qu’une classe d’école primaire en 1901. En outre ce village, depuis 1874, avait déjà accueilli l’une des douze écoles secondaires rurales du canton. Par ailleurs, l’Etat radical ne se souciait pas seulement d’éduquer la jeunesse. Les adultes, pour être des citoyens responsables, devaient aussi avoir leur part d’instruction. C’est ainsi qu’en 1861, la commune ouvrit une bibliothèque communale, dont le règlement stipulait que « le but de la bibliothèque [était] de faire circuler dans les familles de la commune de bons ouvrages propres à instruire et à moraliser ».

    Un autre aspect de la vie dardagnienne de cette fin de XIXe siècle qu’il importe de relever, est celui de la vie confessionnelle. Commune de l’« ancien territoire » (territoire qui était genevois avant la Révolution), Dardagny a toujours été à majorité protestante. Or, cela changera en 1880, année à partir de laquelle la population catholique prend le dessus. Les fidèles de la religion romaine sont essentiellement des ouvriers, des domestiques, de petits agriculteurs ou encore des employés de la compagnie de chemin de fer du PLM. Cette situation, ajoutée à un désir d’effacer, dans tout le canton, les plaies laissées par le tragique Kulturkampf , qui s’est manifesté à Genève à travers la persécution du radical Antoine Carteret envers les « ultramontains » dans les années 1870, amènera à la création de la paroisse catholique de Dardagny-Russin en 1889.

    Sur un autre plan, enfin, Dardagny allait profiter assez rapidement de quelques inventions importantes de la modernité. Le télégraphe fut installé à La Plaine dès 1869, et à Dardagny-village onze ans plus tard. Quant au téléphone, c’est entre 1895 et 1897 que quatre bureaux furent ouverts à Dardagny, La Plaine, Malval et Essertines. L’éclairage nocturne fut d’abord l’affaire de huit « fallots » (becs de gaz) installés dans la commune en 1877, puis celle de réverbères électriques qui apparurent à La Plaine dès 1895, à Dardagny en 1912 et, progressivement, dans les autres hameaux de la commune.

    (A suivre)

    Jacques Davier

    NB : la bibliographie figure dans la dernière partie