Au pré du Levant
Me souvenant de Max Elskamp
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Me souvenant de Max Elskamp
5. Les opposants à la démolition du château se manifestent (1916-1926)
Les toits semblent perdus
Et les clochers et les pignons fondus,
Dans ces matins fuligineux et rouges,
Ou, feu à feu, des signaux bougent.
(Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires)
Déjà, la ville industrielle montre, à travers ses usines et ses foules, un caractère presque inhumain. La mégalopole déploie ses tentacules et apparaît comme une entité autonome, bientôt ennemie de l’homme. La « rationalisation » industrielle encourage de telles pensées. Si certains, comme le poète de gauche Verhaeren, balancent entre admiration et crainte face à ces symboles de la modernité, d’autres, inquiets, commencent à se manifester, qui proclament la nécessité de ne pas faire du passé table rase. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premiers mouvements de protection du patrimoine et les sociétés « d’art public », comme le Heimatschutz en Suisse.
Jacques Gros note que, suite à l’achat du château, l’opinion publique se met aussitôt à manifester contre sa destruction, notamment par le biais d’articles de journaux et de publications. En 1916, lorsque la démolition du manoir est décidée pour de bon, « les protestations redoublent, des articles de journaux paraissent, beaucoup de personnes et de sociétés intriguées par cette polémique, veulent se rendre compte par elles-mêmes et choisissent (…) Dardagny comme but de promenade ». En particulier, un projet de « soumission pour les travaux de démolition du château de Dardagny et de ses dépendances » provoquera un beau tollé. Une entreprise soumissionnera le 31 octobre, mais ce sera déjà trop tard…
En effet, le conseiller d’Etat et historien Henri Fazy, « connaissant le château pour y avoir passé des vacances chez son petit cousin Jean-Louis Fazy, ne resta pas étranger aux doléances de l’opinion publique ». Le 16 novembre 1916, en présence du maire et des membres de la Commission (voir 4ème Partie), il vint visiter la château, accompagné de son collègue Mussard, chef du Département de l’instruction publique.
Et Henri Fazy, impressionné par ce qu’il juge être le « réel intérêt historique » et « la masse bien équilibrée » du bâtiment, se déclare opposé à la suppression de « ce témoin de notre passé » sans avoir mené une étude sérieuse « de son état, de sa vétusté, de sa résistance possible (…) ». C’est pourquoi il pria instamment le maire de la commune de faire surseoir à la démolition du château, en attendant la réalisation d’une étude approfondie. On l’écouta, et la démolition fut ajournée. Ainsi le Conseil d’Etat, le 17 novembre 1916, « après avoir entendu le rapport de Messieurs les Conseillers d’Etat Fazy et Mussard sur leur visite du château de Dardagny », chargea le Département des travaux publics « de procéder à une étude de la restauration de cet édifice ».
Par ailleurs, quelques opposants à la démolition du château plaidaient auprès de la commune la cause de la restauration, comme Ernest Renard, conservateur-adjoint au Service du Vieux-Genève, le 3 février 1916, selon qui « le village de Dardagny se doit à lui-même de conserver ce château, qui attirera encore pendant des siècles les visiteurs et les touristes pour le plus grand profit des habitants ». En effet, ajoute-t-il, « le château de Dardagny est le dernier des grands châteaux genevois. Ses dimensions et son architecture en font un magnifique et imposant monument qui donne à votre joli et si sympathique village, une grande partie de son caractère et de son originalité ».
Auparavant, en avril 1912, l’archiviste d’Etat Paul-Edmond Martin écrivait déjà, par deux fois, dans ce sens au maire de Dardagny, se disant persuadé « que l’on pourrait intéresser le public à la restauration du château de Dardagny », et offrant même ses services, « soit comme archiviste, soit comme secrétaire de la Société d’histoire et d’archéologie à intéresser à cette idée et à ce projet des personnes compétentes et capables de se mettre immédiatement à l’étude d’une combinaison et à la tête d’un mouvement ». Sans que la question puisse être tranchée ici[1], il semble que des personnes aussi influentes, désireuses de s’investir, ont vraisemblablement pu contribuer à faire pencher la balance en faveur de la restauration. Le Conseil d’Etat ne notait-il pas, dans sa séance du 14 novembre 1916, que « la Société d’histoire et d’archéologie de Genève prie le Conseil d’accepter son appui dans l’étude de la conservation du Château de Dardagny (…) ? On sait que cette société figurait parmi les plus ardents défenseurs de la restauration.
Cette hypothèse semble également être confirmée par un autre partisan de la restauration, l’archéologue cantonal Louis Blondel, qui écrit dans un article paru, justement, dans Heimatschutz en 1925 (N° 8, XXe année), ceci : « Mais l’opinion public [sic] s’est maintes fois manifestée pour protester contre la disparition d’un des plus beaux monuments de la contrée, particulièrement en 1916, où la société d’histoire et d’archéologie et d’autres sociétés d’art public ont fait des démarches auprès du Conseil d’Etat pour empêcher la démolition ». En conclusion, l’auteur mentionne qu’ « actuellement les pouvoirs publics se préoccupent de sa conservation, la commune et l’Etat s’y intéressent, le Heimatschutz si soucieux de conserver les beautés de notre pays ne restera pas à l’écart de ce mouvement de préservation ».
Le château fut donc sauvé de la démolition en 1916 par une intervention de l’Etat, et il s’avère que rien, au cours des années suivantes, n’allait pouvoir modifier cette nouvelle donne. La Grande Guerre s’intensifiait, et, même si la Suisse n’y participait pas, elle se faisait durement sentir chez nous. Jacques Gros précise : « (…) la main d’œuvre devient rare et chère, les marchandises et les matériaux de construction renchérissent considérablement, les gouvernements, les communes, les particuliers mêmes ont de gros soucis et une sérieuse responsabilité pour approvisionner la population ; il devenait matériellement et financièrement impossible d’envisager un travail si important ».
L’après-guerre n’amena aucune solution, rien ne bougeait et le château voyait son état se dégrader de plus en plus. C’est ainsi que le Conseil municipal constatait, le 21 mai 1920 : « Puisque nous en sommes au chapitre des réparations aux bâtiments communaux, vous savez qu’une commission a été nommée en février dernier pour voir ce qu’il y aurait à faire à la toiture du Château, pour tâcher de le maintenir debout encore quelques années, vu qu’il abrite l’école enfantine, divers dépôts de la commune et du Syndicat agricole, et un certain nombre de locations ». Ladite commission concluait qu’il ne valait pas la peine d’entreprendre de coûteux travaux de réparation de la charpente, « car une toiture réparée à grands frais abritera encore et toujours des appartements dévastés, qui n’ont plus guère de valeur locative ». On décida de faire quelque chose « pour boucher les plus gros trous » car, « jusqu’à présent, le vieux Château a bien payé sa rente, et puisque les circonstances ne permettent guère sa démolition actuelle et qu’il peut rendre service encore quelques années », cela vaut la peine d’investir pour « consolider le plus pressant ».
Six jours plus tard, le 27 mai, le Conseil municipal enfonçait le clou : il décida de demander à l’Etat une aide pour la réparation de l’école primaire, « vu l’importance de ces travaux et parce que sans l’opposition de l’Etat un bâtiment scolaire avec tout le confort moderne serait actuellement construit sur l’emplacement de la ruine qu’est le château actuel ». Il faut ajouter qu’à cette même époque, la commune acheta à l’Etat le bâtiment de l’école secondaire rurale de La Plaine, cela afin de régler le lancinant problème de l’école de La Plaine (en effet, depuis la fin de la guerre existait le projet de construire une nouvelle école à La Plaine, destinée aux classes primaires).
Il est à tout le moins clair, à ce stade des opérations, qu’écoles communales et château sont indissociablement liés. D’ailleurs, en 1921, la commune contracta un emprunt de 45'000 francs pour régler les diverses dépenses relatives aux écoles et aux routes : cela ne faisait que renvoyer le sort du château vers un avenir encore plus lointain…
Cependant, l’état du château continuait, lentement mais sûrement, de s’aggraver. Le 28 juin 1923, le Conseil municipal, constatant une fois de plus « l’état de vétusté, de dégradation et de détérioration du château qui menace de s’écrouler dans certaines parties », décide « 1° de prendre les mesures de précaution nécessaires décidées par le Maire, d’accord avec le Service des constructions [de l’Etat], 2° d’envisager, pour éviter des accidents possibles, sa démolition prochaine et d’en demander à l’Etat l’autorisation qu’il avait cru devoir retirer une première fois, 3° d’adresser une requête au Conseil d’Etat pour lui expliquer la situation critique faite à la Commune par la décision de l’Etat, arrêtant les travaux de démolition et de construction d’un bâtiment scolaire sur cet emplacement entrepris en 1916 et lui demander son aide dans une large mesure pour réparer ce tort [je souligne] ».
Suite à cela, le maire Alfred Desbaillets et son adjoint, Jacques Gros, eurent une entrevue avec le président du Conseil d’Etat, le 11 juillet 1923, de laquelle il découla, « vu la situation financière de l’Etat », qu’il fallait à nouveau renvoyer à des temps meilleurs la construction d’un bâtiment scolaire sur l’emplacement du château et donc, par la force des choses, la démolition de ce dernier. Le Conseil municipal prit acte de cette décision le 6 août, non sans demander au Conseil d’Etat de prévoir « pendant plusieurs années » une somme au budget cantonal afin de régler cette affaire.
Pendant l’été 1923, on le voit, la commune espérait toujours pouvoir raser son château et bâtir à sa place une nouvelle école et mairie. L’Etat, quant à lui, émettait les plus grandes réserves quant à ce projet, refusant énergiquement de s’engager financièrement. Et qui tient les cordons de la bourse…
[1] Il faudrait en effet dépouiller d’autres sources.
(A suivre)
Jacques Davier
NB : la bibliographie figure dans la dernière partie
Le Blues (Fantaisie)
Goo, goo, Goo, goo Barabajagal was his name now. Oui, et il est déjà sur la route. Probablement la route 66, au départ de Chicago, ville en état de mort industrielle clinique, patrie du « blues urbain », il est là, tapi dans « Born in Chicago », génial morceau du Paul Butterfield Blues Band, dû à la plume de Nick « the Greek » Gravenites. Ou bien sur la Highway 61, la route du blues rural chantée naguère par Bob Dylan… Oui, il est sur la route… Aujourd’hui silencieux dans la nuit, il hurlera demain sous nos fenêtres, lui, le bon gros blues, allez, au hasard, ce « Young man blues », dans la version des Who, en live… (the youg man, he ain’t got nothing in the world today). Ou encore l'apercevrons-nous dans «Uncle Sam Blues», joué à Woodstock par le Jefferson Airplane, dans sa version définitive. Et nous en aurons mal au crâne, et les foules en colère balayeront cette mondialisation délétère, et danseront sur son cadavre, comme au temps de la Carmagnole ! Oui, nos lendemains chanteront, et nous jetterons à la corbeille cette horreur économique. Oui, il est en route, il vient, il approche… Bientôt il hurlera, il hurlera comme un fou ! Oui, je me réjouis déjà !!! Goo, goo, Goo, goo Barabajagal was my name now.
Barabajagal by Donovan and the Jeff Beck Group, 1969.