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Poe aime! - Page 47

  • Le vol des lettres (5ème partie)

    5. Une Lettre pour Elise

     

    Frédégonde Elise, toutefois, ne put tolérer ce dénouement. Meurtrière en série (exemple Clovis, fils de Chilpéric), multi-récidiviste, elle voulut du crime, une tonne de crime et des victimes bien refroidies. Elle se mit en tête de retrouver les lettres volées pour les seriner en bonne et due forme, et les voir définitivement étendues en le fond du trou.

    Elle rejoignit Delechut, pour qu’il l’informe du lieu sûr où il mit les voyelles. Elle le trouve en Genève, sur le chemin d’une Bibliothèque de zone. Il est pris de remord, refuse de divulguer le lieu, ne veut ce meurtre. Les lettres ont souvent gémi lors de l’enlèvement, elles souffrent et il souffre de même ; pour elles, pour elles, il souffre et peine et souffre et tellement, tellement de remords éprouve qu’il croit être perdu, en Enfer tombé…

    Il compose donc une Lettre pour Elise (Für Elise), lui, fortiche ès nombreux instruments de musique, et joue ce futur tube très, très fort, puisqu’un public nombreux, scotché en ce bus genevois, écoute cette belle musique. Il pense, lui le désespéré, qu’il produit ici quelque chose de terrible, de tigresque, de monstrueux, de beethovenesque, voire presque teinté de rock pink floydesque, digne du splendide Echoes, et se félicite de son génie…

    Ce son est joué pour Frédégonde Elise, il veut rendre plus douce cette personne dont l’instinct est bien trop meurtrier. Est-ce succès ? Elle, toute tournée vers les lettres, n’entend rien de cette Lettre, et fuit vers grenier de Bibliothèque pour piéger son ex-complice, « devenu fou », qu’elle dit. Plongée en ombre de combles, elle ourdit piège, tend filets, tisse toile, telle une pour insectes (et Delechut insecte est devenu, oh oui).

    Louis Jules, chu d’express, siffle Ennio, veut voir fille, entre en bus, court vers zone, prend un siège, espère mots, scribe perdu, et s’endort.

    Entre temps, Frédégonde Elise voit Delechut, lui tire dessus, le pulvérise, jette les bouts hors immeuble, et s’enfuit.

    (A suivre)

  • Le vol des lettres (4ème partie)

    4. Le vol des lettres

     

    Delechut mit en œuvre le projet de Louis Jules, en vue de quoi il lut, pour viser le top du top, l’œuvre entier de Perec (soyons fous !), écrivit Belles présentes en chemin, et s’en fut enlever l’horrible voyelle. Il eut un énorme succès ! Toutes les lettres envolées de tous les textes où elles furent mises ! Dérobées des mots et des lignes, des vers et des strophes, toutes les belles-lettres, les lettres policières, les lettres dessinées, les lettres scientifiques (ici, ce ne fut point perte, et ce fut des fois un plus), même les lettres cuisinières, bouleversées ! D’un coup, une lettre d’une petite Gertrude pour Chère Mémé, écrite de Verbier, sous neige continuelle, pour Noël, devint incompréhensible… De même, les proses du Conseil de commune de Genève, consignées en ses Mémoires, de coutume fort réputées, sombrèrent en l’obscur et l’insensé… Pire encore, tous les poèmes de Rimbe furent privés de leur noire voyelle ! Folie, folie et misère sur le monde, en tous ses lieux et en tous ses temps…

    Delechut couvrit son butin en lieu sûr, et s’en fut en ville de Berne prendre le direct pour Genève, où il eut vent de devoir conférer en une petite bibliothèque de zone, sur son métier précédent, privé (imper choc et feutre chic).

    Frédégonde Elise se mit en route vers le logis de ses complices du Club des Scribes en folie d’Olten, pour leur dire l’heureux dénouement de leur noire entreprise. Ici, point de bourre-mou ou de boniment ; le jeu est direct, le mot limpide, et le geste impérieux ! Le Club, heureux de ces nouvelles, hurle de joie et se réjouit de voir, courtesy of Delechut et son vol, chuté l’ennemi de toujours, cette droitière Société des gens de Lettres (hé, hé, hé) si honnie.

    Tout d’un coup, impulsivement, quelques-uns d’entre eux, une petite meute, foncèrent vers Berne, descendirent en fosse où vivent ours pour un event sur le pouce, et, vêtus Knie style, debout sur le dos des bêtes étonnées, ils hurlèrent :

    « Dispersée, votre lettre primitive chérie, votre inutile voyelle ! Vous ne fomenterez plus vos coups contre Justice, Vérité et Futur Illuminé ! Vivent les jours divins du Monde Neuf de Lénine, celui qu’en secret nous voulûmes de nos vœux un si long temps que nous en eûmes les cheveux gris !

    Envolée cette voyelle, plus d’horribles chemises noires linguistiques contenues en vos ignobles discours, perfides cerbères de l’extrême droite ! Finies, les tromperies du peuple ! Enterrées, les funestes logorrhées lepénesques et blochériennes ! Déconfits, les ignobles scribouilleurs freisingériens ou windischiens ! Nihilisés, les discours bruns ! Nous, les scribes de l’essor entonnons enfin l’hymne des futurs qui pépient !

    Voici que l’écriture du réel communiste est victorieuse ! Sublime révolution !! »

    Puis les ours les boulottèrent.

    (A suivre)

  • Le vol des lettres (3ème partie)

    3. Louis Jules Skoumoun

     

    C’est en petite bicoque, vers prés pelés, que l’entreprise fut initiée. Ici, une comploteuse et un big chief des lettres enquêteuses, voulurent, non voler, or complètement occire, oui, occire, cette primitive lettre, et commencèrent d’invoquer les Dieux des louches écrits. Ces derniers, coutumiers de ces choses (souvent, on les invoque pour broutilles, et lors ils s’en retournent pleins de soupirs, tristes et perdus, en leurs contrées hostiles), vinrent lentement, très lentement, comme il convient en de telles conjonctures, et proférèrent :

    - De qui hélés sommes nous, cette fois-ci ?

    - De nous deux, Ô Dieux des louches écrits !

    - Qui êtes-vous et que nous voulez-vous, vous deux qui nous hélez en ces temps froids et silencieux de l’hiver qui perdure, peu propice pour des sorties hors de nos logis, sur ces terres où nos pieds gèlent très, très vite, on ne le dit onques trop !

    - Nous sommes, Ô Dieux des louches écrits, deux comploteurs distingués du monde des lettres, dont un scribe suprêmissime et une détentrice d’intelligence hors normes, et voulons, Ô Dieux, occire cette bien trop souvent utilisée primitive voyelle ! Cette lettre princeps, ce signe originel soit éliminé de notre monde, soit refroidi tel le monstre du Kou Kou Nor de funeste mémoire (liquidé en deux temps, trois mouvements, c’est sûr, en des époques dépourvues de chichis), soit nihilisé, brûlé, étêté, minimisé tellement que ne plus être rien, soit explosé, dispersé, ventilé ès univers genre puzzle, et de nous et de tous ne soit plus vu pour les siècles des siècles !

    - Oh, oh, oh, oh ! Quel vil projet nous dévoilez-vous donc ! Quelle horrible entreprise nous suggérez-vous de tenter, cruelle femme, cruel homme ! Nihiliser cette lettre princeps est certes en notre pouvoir, toutefois nous ne comprenons, oh non, pour quels motifs vous jugez bon d’obtenir cette destruction. Nous n’osons croire que vous puissiez être les meurtriers envoyés du Club des Scribes en folie d’Olten.

    - Si, si, ceux-ci nous sommes !

    - Nous eûmes vent de cette sinistre entreprise. Dès lors, nous tînmes conseil, sept nuits et sept jours de long, nous dîmes l’essentiel en silencieuses pensées, et conclûmes le tout en un pow-wow des plus festifs, digne des indiens Sioux !

    - Nous vînmes voir ce pow-wow, dit Frédégonde Elise, près de vous sous d’obscurs buissons nous nous sîmes silencieusement, tels d’invisibles félins terrés en jungle !

    - Nous pûmes comprendre, oh, certes, ce ne fut guère difficile, émit Delechut, pourquoi vous chérissiez cette lettre ; nous pûmes entrevoir votre inflexible décision !

    - Oui, vous le pûtes, c’est juste, dit un Dieu. Terrés sous les buissons nous vous vîmes en effet, et fort bien, même si nous fîmes mine de rien !

    - Envoyés du Club des Scribes en folie, dit son confrère, ôtez-vous dès lors de notre vue, enfoncez-vous en l’obscurité, glissez-vous donc sous l’ombre, fondez-vous tous deux en le nul !

    - Ô Dieux des louches écrits, soyez sereins, nous filons english style, nous déguerpissons, nous nous enfuyons, nous fonçons tombe ouverte vers les fins fonds de l’Univers en fusion, nous fondons nos os sous un flot de plomb fondu, nous déboulons loin de votre vue, enfin !

    - Filez, déboulez loin de notre vue, et nous serons contents, en effet !

    Frédégonde Elise et Delechut s’en furent, et s’en portèrent fort bien, puisqu’ils fuirent le courroux curieux qui rendit rouges les rondes joues des Dieux furieux. Quid ? pensèrent-ils, et mince, meurtriers nuls, et toujours des tonnes de lettres premières en d’infinis discours, en tous les lieux du globe ! Plus d’espoir, que déboires ! Plutôt boire, non s’y croire ! Du vin pour mon gosier, une bière pour le tien, et en voiture Simone ! Et ils burent, burent burent toute leur soif, soif soif et furent ronds, ronds, ronds comme des toupilles, pilles, pilles !

    C’est ici que se pointe le père, Louis Jules Skoumoun, ex-collectionneur en herbe de timbres-poste devenu bien vite émérite, puis chu vers le nul pour souffrir nombreuses turpitudes, pourquoi ? Nul ne le sut… Il se pointe donc, plein de bonne volonté, prêt pour résoudre l’énigme issue de bouche de fifille (dont il est très fier, soit dit en chemin) et son compère, qui consiste en l’occision de l’immonde voyelle ! Et, enfoui sous les rochers si froids des monts suisses teutons où se bécotent tourterelle et son chéri, qui n’ont espoir de mieux, il susurre de sucrées et douces mélopées sensément reproduire le son soyeux d’une subtile musique…

    - Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ? s’écrie Frédégonde Elise.

    - C’est ton père qui se prend pour un scriptor du dix-septième siècle ; il se presse sous les roches et sifflote une œuvre enjôleuse, dont le but est de nous mettre puce en oreille, et nous prévenir qu’il est puits de science en notre problème.

    - Oh oh ! répondit-elle.

    - Et oui ! fit-il.

    (Louis Jule Skoumoun fit en vérité jeu de comédie en ses jeunes périodes de vie. Corneille, Molière, Beckett, toutes ces cohortes de scribes lui sont éminemment connues. Toutefois, ce qu’il préfère, c’est les musiques de films western, exemple Ennio Morricone, d’où les sifflements ci-dessus.)

    Et, fierot comme un bouc, Louis Jules dit très fort le fond de ses pensées. Les deux comploteurs, debout, stoïques sont tout ouïe :

    - Eh bien, les Dieux ne veulent procéder, point de meurtre, donc. Du moins, et comme prévu, volerez-vous ! Je vous informe comment piller le betepsilonomicron, puisque je reçus science en ce métier du célèbre voleur de lettres Georges « E » Perec !

    (A suivre)